Compte-rendu

Dans cette conférence, Martine Sandor-Buthaud nous propose un parallèle entre l’approche freudienne et l’approche jungienne du couple et ce qu’elles apportent l’une et l’autre à la compréhension de ce qui se joue dans chaque couple humain. Plusieurs exemples cliniques sont venus compléter la richesse de son exposé.

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   La lecture freudienne nous mène sur le chemin de la constitution du désir sexuel. Le toucher et le regard structurant de la mère sur son enfant vont conditionner sa constitution narcissique et l’enjeu narcissique peut être très présent dans les couples adultes. La relation à la mère est aussi une expérience de plaisir et l’activité fantasmatique de l’enfant va organiser inconsciemment son désir, dans la pulsionnalité orale et anale, puis œdipienne. La réponse de la mère au désir de l’enfant permet la triangulation quand celle-ci n’utilise pas l’enfant pour sa propre jouissance, dans son propre besoin narcissique, mais permet à l’enfant la perception de l’existence d’un couple adulte dont sa mère est part.
   Pour Jung, le couple mère-enfant s’analyse dans une autre perspective, dans la recherche de la mise en place de l’archétype de l’union. L’union primaire avec la mère est fusionnelle, dans l’indifférenciation et dans l’inconscience. Les couples fusionnels sont ainsi pris dans un cocon à deux, empêchant la différenciation et donc l’individuation.
La poussée différenciatrice néanmoins est inhérente à la psyché, comme l’est le désir d’union. Cela crée une tension qui est douloureuse, pour l’enfant comme pour l’adulte. Il faut pouvoir vivre le conflit, le tenir jusqu’à ce qu’un possible des deux apparaisse, une conjonction. La façon dont est vécue la "défusion" avec la mère permet ou pas qu’une autre cohérence, un contenant existe pour supporter les défusions à venir. Le vécu de perte, l’angoisse, la nostalgie, la culpabilité sont alors contenables. Le lien et l’autonomie, le lien et la séparation peuvent alors être conjoints. On peut sinon arriver à la confusion.
   La conjonction est représentée par un accouplement incestueux, prérogative royale. Pour Freud, ces représentations d'accouplement incestueux sont des images d'un désir de l'enfant envers un de ses deux arents, désir qui pourra s'élaborer dans la mesure où sa réalisation concrète est interdite. Ce désir est vécu dans une conflictualité intense par rapport à l'autre parent que l'enfant désire évincé. Confronté peu  peu à la réalité: que le parent désiré désire ailleurs et que lui même est dans l'incapacité de satisfaire ce parent, l'enfant va renoncer à ce désir oedipien. C'est la castration symbolique qui permet la translation du désir vers un objet exogame.
   Le monde des fantasmes œdipiens est un monde de prince et de princesse, mais aussi d'angoisses et de comparaisons avec les autres femmes et hommes. Ceci se retrouve dans le couple entre adultes. Ces fantasmes seront mis à mal par le long terme et par le quotidien : le couple est un lieu de castration, où ’un et l’autre acceptent de ne pas être l’idéal de l’autre, qui n’est pas idéal non plus.
   Pour Jung, la dynamique représentée par les images d’accouplement incestueux a une visée non fondamentalement sexuelle mais spirituelle. L’inceste dont il s’agit est un inceste matriarcal, le passage à l’acte étant une catastrophe psychique pour l’enfant, [comme pour l’analysant dans cet autre couple analyste-analysant, quand la règle de l’abstinence (ne pas répondre concrètement aux besoins de l’analysant) est enfreinte]. La dynamique endogame de l’inceste cherche une plongée dans « le monde des possibilités archétypiques », plongée autant que possible avec la participation du conscient, qui passe par la voie du sacrifice. Il faut faire le sacrifice de la libido restée attachée à la mère, renoncer au fantasme infantile d’une unité sans tension ni conflit. Par le renoncement à cette aspiration à la fusion, la libido peut faire retour vers l’archétype, et peut alors se produire un accouplement avec soi, avec le monde vivant des valeurs et du sens archétypique. De cet accouplement émerge la création symbolique, une conjonction entre le conscient et l’inconscient, le couple intérieur. Cette création ne peut se maintenir que dans ce que Hans Dieckmann appelait « la voie du serpent », avec une flexibilité du point de vue conscient permettant de réagir avec justesse aux besoins et au matériel tant internes qu’externes et aux besoins et aux désirs de l’autre.
   Il n’y a en effet pas de relation à soi sans relation à l’autre et vice versa, c’est ce que Jung rajoute dans « Psychologie du Transfert » à la théorisation de l’inceste et du sacrifice apparue dans " Métamorphoses et symboles de la libido ".
   Dans cette perspective, la relation de couple est une relation entre deux individualités, où chacun suit son propre chemin, à son rythme. Ce qui relève d’une oeuvre à deux dans le couple est ce qui permet la rencontre, la conjonction entre deux individualités.
Le couple est ainsi à la fois un emboîtement de deux organisations de désir inconscients, un vécu d’union, un lieu de castration et une rencontre, voire une conjonction de deux individualités