565 – LA MISSA SOLEMNIS COMME PROCESSUS D’INDIVIDUATION CHEZ BEETHOVEN conférence de Bernard Fournier, Lucile Héraud, avr 2010
Le processus d’individuation est le devenir naturel de l’être humain. Il tend à transformer l’homme pour qu’il s’accomplisse dans une unité autonome et indivisible, c’est à dire une totalité.
En étudiant la vie et l’oeuvre de Beethoven, il nous est apparu clairement que ce processus a rencontré une étape décisive, tant sur le plan personnel que sur le plan de la création au moment où Beethoven a composé la «Missa solemnis» et qu’en même temps et même surtout, l’oeuvre témoigne de la réalisation personnelle du compositeur.
Bernard Fournier, musicologue, pour l’analyse de l’oeuvre musicale, et Lucile Héraud psychanalyste, pour la partie biographique rendent compte de ce processus à l’oeuvre dans l’oeuvre.
La Missa Solemnis est la première œuvre majeure de la troisième manière, à l’issue d’une longue période de stérilité. Cette messe, dont la gestation (1812-1819) et la préparation ont été particulièrement longues, a été composée entre 1819 et 1823. Elle présente plusieurs caractéristiques très particulières. Tout d’abord cette messe suit strictement les paroles de la liturgie pour lesquelles Beethoven a effectué une traduction originale du latin en allemand avec l’appui d’un théologien, ce qui lui a permis d’exercer son expression musicale propre et d’exprimer ses sentiments religieux personnels. Chaque partie de la messe a été pensée autour d’une architecture unifiée. Dans toute cette œuvre, Beethoven tisse une dualité conceptuelle et musicale entre la sphère de Dieu et la sphère de l’homme, accompagnée d’un contraste entre les intervalles de tierces et de quartes.
L’écoute d’un certain nombre d’extraits de la Missa Solemnis, accompagnés des commentaires techniques de Bernard Fournier, permet de suivre cette dualité dans chacune des cinq principales parties de la messe : « Kyrie », « Gloria », « Credo », « Sanctus » et « Agnus Dei ». Les modes musicaux associés au nom et aux attributs de Dieu le Père y sont illustrés dans un premier temps, ceux associés à l’homme pécheur implorant et au Christ dans un second temps.
Enfin un deuxième choix d’extraits comportant les moments symboliques privilégiés par Beethoven, avec leurs expressions musicales particulières, fait entrer les auditeurs en résonance avec les instants les plus intenses de ce chemin d’individuation.
Le processus d’individuation, après s’être activé dans les différentes épreuves de la vie, la surdité, le renoncement à la paternité, à la vie de famille, le sacrifice de l’amour, a atteint chez Beethoven un tournant décisif dans la période au cours de laquelle et à travers laquelle fut composée la Missa solemnis. L’art a été son guide et a accompagné ce processus autant qu’il en a été le révélateur.
Le parcours de Beethoven est une illustration du cheminement de l’humain vers son accomplissement et de l’éveil spirituel qu’il enclenche, éveil qui ne passe pas forcément par le religieux mais que l’on peut concevoir comme une élévation de la totalité de l’être qui réalise pleinement son destin d’humain.
Certes, le parcours de Beethoven passe par de nombreux sacrifices et on peut objecter que l’individuation ne nécessite pas toujours autant de sacrifices. Néanmoins, nous sacrifions les distractions à des tâches enrichissantes, l’éparpillement à la concentration, la facilité à la réflexion. En tant qu’adultes il nous revient d’en transmettre le message à nos enfants et petits enfants qui vivent dans un monde où les sollicitations multiples risquent de les écarter du chemin salvateur de l’individuation.