28 Mar Le monde externe agit sur le monde interne
« Pour des motifs d’ordre pratique, la psychothérapie médicale se doit d’envisager l’âme dans son ensemble . Aussi lui faut-il tenir compte de tous les facteurs qui influencent la vie psychique de façon déterminante et engager le débat avec chacun d’eux. il s’agit, d’une part, de facteurs biologiques et, d’autre part, de facteurs sociaux, intellectuels et spirituels. Des temps aussi foncièrement troublés que notre époque — avec ses passions politiques déchaînées, ses chambardements d’Etats et de frontières qui frisent au chaos, sa conception des choses ébranlée jusque dans ses fondements — influencent si puissamment les décours psychiques de l’individu que le médecin se voit contraint d’accorder une attention accrue aux interférences suscitées dans l’âme de ses patients par les contingences de l’actualité.
C’est non seulement à l’extérieur, dans le vaste monde, mais aussi dans le silence de son cabinet médical, et au sein même de la consultation et de ses secrets, que le médecin est assailli de tous côtés par le déchaînement de l’actualité. Dans la mesure où, en s’occupant de ses malades, il doit engager sa responsabilité, il ne saurait s’isoler dans la tour d’ivoire écartée d’un travail scientifique paisible ; au contraire, il est contraint de descendre, toujours à nouveau, dans l’arène de la course du monde, pour y participer à la lutte des passions et des opinions. S’il ne se pliait pas à cette nécessité, il ne percevrait les vicissitudes de son époque que de façon lointaine et estompée, et les dilemmes, les souffrances de ses patients ne rencontreraient en lui aucun écho, aucune sollicitude, aucune compréhension. Il ne saurait même pas sur quel mode il devrait converser avec son malade, ne serait-ce que pour le sortir de l’isolement dans lequel l’a plongé son incompréhension des choses. De ce fait, le médecin de l’âme ne peut se soustraire à la mêlée de l’histoire contemporaine et se doit de prendre position dans le débat, même si le vacarme politique, les mensonges des propagandes et les criailleries discordantes des démagogues lui inspirent au plus profond de lui-même une grande répugnance. »
C. G. Jung, Aspects du drame contemporain, trad. R. Cahen, Genève, éd. Georg, pp. 59-60